Ce n'est pas un hasard si, dans les années 80 notre regard d'occidentaux s'est posé avec intérêt sur l'art aborigène. Plusieurs facteurs étaient réunis pour que cette tradition ancestrale deviennent l'un des grands mouvements de l'art contemporain.
Ci-dessous: Naata Nungurrayi. Bien que doyenne pintupi, elle n'a jamais hésité à user des couleurs vibrantes offertes par l'acrylique. Le rouge est de mise pour
pendre sa terre (Karrku) le pays de l'ocre rouge.
Une sensibilité aux arts tribaux s'était faite jour au cours des décennies précédentes grâce aux mouvements d'abstraction nés aux Etats-Unis et en
Europe, et la curiosité pour des formes artistiques non occidentales fut une source d'inspiration assumée par nombres d'artistes et en particulier par les surréalistes.
Ces mouvements s'inscrivaient dans une remise en cause globale des critères esthétiques, des valeurs morales et religieuses qui avaient prévalu
jusqu'alors.
D'une façon générale tout le mouvement de la contreculture avait décillé nos yeux, et les arts d'Afrique, d'Asie et d'Océanie étaient déjà l'objet
d'un engouement des collecteurs.
Avant les années 70/80, cependant, seuls les Aborigènes de la terre d'Arnheim, qui produisaient des œuvres traditionnelles pérennisables et
transportables sur écorce, ou bien des sculptures sur bois qu'on appelle des Moas (activité introduite par les missionnaires) intéressèrent quelque peu le monde de l'art.
Il faut noter aussi le courant aquarelliste, de facture purement occidentale figurative créé par Albert Namatjira, qui fut la seule référence de
l'art aborigène de Australie blanche des années 50.
Puis les Aborigènes du désert central, à partir de 1971, commencèrent à produire des œuvres sur nos supports (l'acrylique sur panneaux de bois ou
sur toile), sans rien devoir d'autre au monde blanc que ses matériaux. L'activité prit de l'ampleur dans les années 80. Alors leur beauté simple, leur authenticité, leur apparente abstraction,
charma véritablement le monde artistique.
Ci-dessous : Naata Nungurrayi, encore.
Cette tradition multi millénaire semblait empreinte de ce « modernisme » que nous n'avions « découvert » que peu auparavant et
cela révélait quelque chose de l'universalité de l'esprit humain et de l'art.
Il fut peu question à cette époque des liens que la peinture aborigène entretenait avec cette spiritualité qu'ils appellent le
« Dreaming ». C'était là l'affaire des anthropologues qui, eux, depuis la fin du XIXème siècle, collectaient les objets de bois gravés tels que tchuringas, boucliers, armes ou
coquilles de nacre, observaient, questionnaient, et construisaient sur ces peuples des théories évoluant au rythme des fantasmes de notre propre société.
Puis il eut un moment où les œuvres furent suffisamment nombreuses, transportables et adaptées au marché, pour que le génie artistique des
Aborigènes éclate au grand jour. Le monde de l'art régit alors très positivement à l'émotion esthétique qu'ils véhiculaient et s'ouvrit largement au modernisme « naturel » de ses
auteurs.